Les Franciscains dans des pays en conflit

Les Franciscains dans des pays en conflit : Congo et Turquie (Pierre Matabaro ofm)
Richard :Tu es originaire du Congo mais tu as vécu deux ans en Turquie, peux-tu me décrire la situation dans ces deux pays traversés par des conflits et nous décrire le travail des frères dans chacun des contextes ?
Pierre : Votre question est intéressante. Les Franciscains au monde sont souvent inspirés par l’expérience de Saint François d’Assise qui a vécu une expérience douloureuse avec les guerres intestines italiennes. De sa docilité à l’Evangile, comme il dit que « la vie et la règle des Frères Mineurs c’est de suivre l’Evangile, la vie et les traces de notre Seigneur Jésus-Christ », François a pu transcender les conflits et contribuer par ses trois Ordres à construire la paix sociale car il l’avait dans son cœur. Au niveau international, il a pu rencontrer le sultan des musulmans en guerre contre l’Europe, contrairement à ceux qui ne répondait à la violence que par la violence.
De même ma petite expérience congolaise et turque me resitue dans l’héritage franciscain de bâtisseurs de paix. Les Franciscains du Congo sont une production de l’évangélisation des Franciscains belges au Congo. Celui-ci étant un pays des habitants « unis dans le sort », quant le roi belge, Léopold II réussit à tailler une grande portion du cœur de l’Afrique, appelé Etat Indépendant du Congo, une grande partie du royaume Kongo lié à une multitude des royaumes et d’empires de l’Afrique centrale, que les anthropologues ont réussi à appeler tribu, alors que c’étaient des nations qui avaient chacune une langue et une culture, et « unis dans l’effort pour l’indépendance » au moyen de diverses luttes qui ont conduit à un premier pas vers l’indépendance de ce grand territoire de 2345000 km2 qui était passé tour à tour propriété privée du roi en 1885 et ensuite colonie belge en 1908.
Une première lutte pour la dignité du peuple noir congolais, fut celle d’un franciscains belge, le Père Placide Tempels qui, ayant remarqué la politique de la tabula rasa de ce qui était définie au début comme mission évangélisatrice du roi, publia en 1945 un livre subversif pour attirer l’attention que les Bantu, ceux qui appellent la personne humaine muntu au singulier et bantu au pluriel, étaient de personnes humaines et qu’ils avaient un système de pensée et une culture . Le Père Placide Tempels « est soucieux de faire comprendre à ses contemporain l’exixtence d’une civilisation bantu ayant une conception du monde propre et une philosophie digne d’estime….ce livre apparait comme une réaction occidentale aux thèses occidentales de l’appartenance exclusive de la philosophie à l’Occident et l’inaptitude des autre peuples à la pensée discursive, abstraite et logique selon les philosophes Hegel, Heidegger, Arthur de Cobinau et Lucien Lévy Bruhl, et les théologien comme Pierre Teihlard de Chardin . Nous pouvons dire que les Franciscains ont mené une lutte pour la reconnaissance de la dignité de l’homme noire depuis l’époque coloniale.
Après l’indépendance du Congo Kinshasa, passé successivement de République du Congo, République du Zaïre à République Démocratique du Congo, les luttent pour la paix a continué autant que beaucoup des Frères ont souffert sans démissionner de leur mission lors de la sécession katangaise en 1961 quand la Province du Katanga se sépara du reste du Congo et 1963 la Province du Kasaï fit de même. Ces deux provinces étaient le lieu évangélisés par les Franciscains depuis 1922. Les Frères ont pu gardé leur appartenance à deux Provinces belges, Saint Joseph et Sainte Marie Médiatrice. Et vers le années 1970, les Frères missionnaires franciscains arrivent dans les Provinces du Kivu. Peu à peu les autochtones deviennent plus nombreux. Lors du Projet Afrique de la Curie Générale, de créer des entités en Afrique, les Congolais et les missionnaires ouvriront un Noviciat à Lukafu à 180 km au nord de Lubumbashi en 1983 . Les Frères cherchaient toujours à minimiser les conflits crées par la politique. Dix ans plus tard lors du chambardement orchestré par les politiciens que ces derniers appelés conflit Katangais -Kasaïens l’unique congrégation religieuse qui a réussit à se maintenir sans se scinder entre Kasaïens et Katangais c’est exactement l’Ordre des Frères Mineurs qui avaient son centre à Kolwezi, une maison de formation en philosophie et théologie. Cela est resté un signe de grâce divine au moment ou beaucoup des congrégations se scindaient parfois pour avoir la paix contre la pression politique. Les Franciscains avaient choisi de mourir ensemble, mais le Seigneur a fait qu’au lieu de mourir ensemble ils ont survécu ensemble dans le sud-est du Congo.
La situation du pays est resté fragile, 5 ans de transition et reconquête du pouvoir par le dictateur qui sera plus tard en 1997 chassé du pouvoir par une conglomération des armées et groupes armés venus du Rwanda , Uganda et Burundi. A ce moment l’épi centre du conflit était et est encore aujourd’hui l’Est du pays. Beaucoup de massacre des prêtres et religieux ont eu lieu, des pillages des paroisses et des maisons de religieux et religieuse. Les Franciscains ont été fidèles à la mission de l’Episcopat du Congo qui a essayé depuis l’indépendance 1960 de maintenir le dialogue entre les groupes en conflits (conflits internes ou conflits entre le Congo et les anciens colonisateurs). Malgré les pillages et les atteintes à la vie de beaucoup des consacrés par les groupes armés envahisseurs ou indisciplinés locaux, les Frères Franciscains qui ont travaillé à l’Est du Congo comme Benoit Bahati, Bisimwa Emmanuel, Michel Mizinzi, Etienne Mwandulo, Bavon Barhigombwa, Gustave Muderhwa, Pierre Matabaro, Jean-Pierre Bah’ogwerhe, André Murhabale. Apollinaire Bahinde, Ilija Barisic, Arcen Kasereka, Jean-Pierre Ngazi, etc. n’ont jamais abandonné leur peuple. Ils ont été souvent molestés, maltraités et leur biens ont été pillés, mais ils attendent toujours pour tenter de dialoguer avec l’envahisseur. Ils participent aussi dans la commission justice et paix dans les diocèses où ils travaillent. Une fois une de nos Sœurs Franciscaines entendit le message de la Mère Générale qui demandait que les Sœurs rentrent en Europe avant que la guerre ne se durcisse, alors elle dit : « Dites à la Mère Générale que si en Afrique il n’y a pas de résurrection de mort nous allons rentrer ». Comme je le disait pour les Frères, les Sœurs ont accepté de mourir avec leur consœurs africaines et le peuple de leur apostolat, mais le Seigneur les a protégé et elles survivent aujourd’hui.
Ma deuxième expérience m’a amenée Turquie, après 6 ans de service comme vicaire provincial au Congo, 10 ans comme recteur du sénaire franciscain à Kolwezi et dont 3 ans comme Modérateur de la formation permanente, j’ai pris une année sabattique à Vénise en Italie où j’ai eu une formation en œcuménisme et dialogue interreligieux. Cela a préparé mon séjour en Turquie où le Ministre Général cherchait du personnel pour renforcer l’équipe qui anime des sessions de formation pour le dialogue œcuménique et interreligieux.
Mon expérience de Turquie est brève, car je n’ai pas vu la Turquie ottomane mais la turquie démocratique héritée de Atatürk jusqu’au changement qui s’y passe maintenant : passage du régime parlementaire au régime présidentiel.
Au niveau religieux, les Franciscains de Istanbul sont en contact avec les autres Eglises : Orthodoxes grecs, Catholiques grecs, Arméniens orthodoxes, Arméniens catholiques, Syriens orthodoxes, Syriens catholiques, Melkites, etc . Les Frères organisent en collaboration avec le Vicariat Apostolique Catholique latin d’Istanbul, des rencontres de prière avec les autres Eglises citées pendant la Semaine de prière pour l’unité (18-25 janvier) en différents lieux. Au mois d’octobre chaque année, ils organisent une session de 10 jours pour les Frères venant des tous les horizons afin d’échanger sur l’œcuménisme et sur le dialogue interreligieux. A la fin de la session les Frères organisent une rencontre de prière où le Derviches, un groupe des mystiques musulmans viennent prier en dansant. Deux mardi par mois les Frères organisent une prière appelé « prière de Taizé qui regroupe les chrétiens de différentes confessions. Chaque année les Frères organisent une session de trois jour avec les Musulmans pour échanger sur le dialogue interreligieux : les conférenciers sont pris parmi les chrétiens et parmi les musulmans.
Nous avons aussi un contact direct que nous préparons par l’apprentissage de la langue turque. De ce contact, nous créons des amitiés et des collaborations professionnelles qui nous ouvrent à toutes les couches de la société turque composée de 90% de musulmans. Quand j’était à l’hôpital en coma d’un moi, à mon réveil je me suis rendu compte que c’est un musulman, nommé Ibrahim, qui venait me voir chaque jour. Il le faisait à un homme en coma dont il n’espérait plus la guérison. Donc c’était un acte de bonté sans intérêt. Il semble que depuis des années la présence de Franciscains au Moyen-Orient a toujours crée de relation de confiance entre eux et les musulmans. Quand j’était un Israël, les Frères me racontait qu’un sultan de Jéricho, à l’époque en Palestine, avant d’aller en pèlerinage à La Mecque pour six mois, amenait ses quatre femmes au couvent franciscain de Jéricho pour les sécuriser par les Frères.
Cette attitude pacifique des Franciscains a touché certains adultes qui se sont même convertis au Christianisme, car en Turquie la Constitution laisse la liberté aux adultes de choisir leur religion.
Fr Pierre Matabaro

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